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Droit de la famille

Protection des majeurs : le mandat de protection future et sa publicité tant attendue

CE ch. réunies, 27 sept. 2023, n°471646

Protection des majeurs (tutelle – curatelle – sauvegarde)

Enseignement de l'arrêt

L’arrêt du Conseil d’État du 27 septembre 2023 impose au Premier ministre de publier sous six mois le décret organisant la publicité du mandat de protection future, en suspend depuis 2015. Ce mandat permet à une personne d’anticiper sa perte de capacité en désignant un représentant pour gérer ses intérêts. L’absence de publicité rendait impossible de vérifier si un mandat existait, posant des problèmes de sécurité juridique pour les tiers et les juges. La décision du Conseil d’État permettra de remédier à cette situation, renforçant ainsi la protection des personnes vulnérables.

Le mandat de protection future, quézaco ?

Définition et forme du mandat de protection future

Définition

Selon l’article 477 du Code civil : 

« Toute personne majeure ou mineure émancipée ne faisant pas l’objet d’une mesure de tutelle ou d’une habilitation familiale peut charger une ou plusieurs personnes, par un même mandat, de la représenter pour le cas où, pour l’une des causes prévues à l’article 425, elle ne pourrait plus pourvoir seule à ses intérêts.

La personne en curatelle ne peut conclure un mandat de protection future qu’avec l’assistance de son curateur.

Les parents ou le dernier vivant des père et mère, ne faisant pas l’objet d’une mesure de curatelle ou de tutelle ou d’une habilitation familiale, qui exercent l’autorité parentale sur leur enfant mineur ou assument la charge matérielle et affective de leur enfant majeur peuvent, pour le cas où cet enfant ne pourrait plus pourvoir seul à ses intérêts pour l’une des causes prévues à l’article 425, désigner un ou plusieurs mandataires chargés de le représenter. Cette désignation prend effet à compter du jour où le mandant décède ou ne peut plus prendre soin de l’intéressé.

Le mandat est conclu par acte notarié ou par acte sous seing privé. Toutefois, le mandat prévu au troisième alinéa ne peut être conclu que par acte notarié. »

Le mandat de protection future permet ainsi à toute personne majeure ou mineure émancipée, (le mandant), de désigner à l’avance une ou plusieurs personnes (le ou les mandataires), chargées de la représenter lorsqu’elle ne sera plus apte à gérer ses intérêts personnels et/ou patrimoniaux.

Le mandat de protection future permet donc (i) d’anticiper une perte de ses capacités et d’organiser les conditions de représentation du mandat et (ii) d’éviter de recourir à une mesure de protection judiciaire (tutelle ou curatelle). 

Précisons que, pour s’adapter au mieux à la situation et aux souhaits du mandant, le mandat de protection future peut être pris pour soi ou pour un tiers et qu’il peut porter sur la protection de la personne, de ses biens, ou les deux.

Les formes du mandat de protection future

Le mandat de protection future par avocat

Le mandat de protection future peut prendre la forme d’un acte sous seing privé ou d’un acte notarié

Pour être valable, le mandat de protection future sous la forme d’un acte sous seing privé doit être :  

  • Contresigné par un avocat, 
  • Enregistré à la recette des impôts, les frais d’enregistrement s’élevant à 125 €. 

Attention, le mandat de protection future établi par acte sous seing privé ne peut pas concerner les actes de cession immobilière.

Le mandat de protection future par acte notarié

Il doit être rédigé devant notaire en présence du mandant et du mandataire. 

Les pouvoirs conférés au mandataire peuvent être plus étendus que dans le cadre d’un mandat de protection future sous seing privé. Il peut notamment s’agir d’actes de disposition de biens immobiliers.

Dans ce cadre, le mandataire est davantage contrôlé puisqu’il doit rendre compte de son activité au notaire, en remettant notamment un inventaire du patrimoine et un rapport annuel de gestion des comptes.

La mise en œuvre du mandat de protection future et les difficultés afférentes

Selon l’article 1258 du code de procédure civile : 

« Pour la mise en œuvre du mandat de protection future établi en application du premier alinéa de l’article 477 du code civil, le mandataire se présente en personne au greffe du tribunal judiciaire dans le ressort duquel réside le mandant, accompagné de ce dernier, sauf s’il est établi, par certificat médical, que sa présence au tribunal est incompatible avec son état de santé.

Le mandataire présente au greffier :

1° L’original du mandat ou sa copie authentique, signé du mandant et du mandataire ;

2° Un certificat médical datant de deux mois au plus, émanant d’un médecin inscrit sur la liste mentionnée à l’article 431 du code civil et établissant que le mandant se trouve dans l’une des situations prévues à l’article 425 du même code ;

3° Une pièce d’identité relative respectivement au mandataire et au mandant ;

4° Un justificatif de la résidence habituelle du mandant. »

Ainsi, pour être mis en œuvre, le mandat de protection future doit être présenté au Tribunal judiciaire par le mandataire et le mandant (sauf si son état de santé est incompatible avec un déplacement).

Il faut alors bien entendu justifier de la nécessité de mettre en œuvre un tel mandat en présentant un certificat médical de moins de deux mois, établi par un médecin expert, expliquant que le mandant n’est plus apte à pourvoir seul à ses intérêts. 

Le greffier appose alors son visa sur le mandat, qui prend effet à compter de sa date de présentation au greffe.

Une mesure de protection aux modalités perfectibles

L’impossibilité de connaître l’existence d’un mandat de protection future

Selon l’article 477-1 du code civil : 

« Le mandat de protection future est publié par une inscription sur un registre spécial dont les modalités et l’accès sont réglés par décret en Conseil d’Etat. »

Cet article a été introduit dans le code civil par la loi du 28 décembre 2015 et pourtant, 8 ans après, le décret devant préciser les modalités de publicité du mandat de protection future n’est toujours pas publié… !

Impossible donc de savoir si une personne fait l’objet d’un mandat de protection future et, par conséquent, si elle est libre de passer tous les actes souhaités, ce qui est évidemment problématique pour les tiers, mais également pour les Juge des contentieux de la protection qui ne peuvent ni exercer concrètement leur mission de surveillance des mesures de protection ni contrôler le principe de subsidiarité lorsqu’ils ordonnent une mesure puisqu’ils n’ont pas la possibilité de savoir si une mesure existe déjà grâce à un mandat de protection future. 

Cela a bien entendu été très critiqué par les avocats spécialisés droit de la famille (dont évidemment les rédacteurs de la présente) et les notaires.

Des modalités de publicité attendue pour le premier semestre 2024

Ce sont les raisons pour lesquelles la fédération internationale des associations de personnes âgées (FIAPA) et deux personnes physiques ont saisi le Conseil d’Etat d’une demande visant (i) à l’annulation des décisions implicites par laquelle le Premier ministre avait rejeté leur demande tendant à ce que le décret soit édicté et (ii) d’enjoindre celle-ci de prendre ce décret dans un délai d’un mois de la décision à venir, sous astreinte de 600 € par jour de retard. 

Le Conseil d’Etat a fort heureusement accueilli favorablement leur demande en annulant lesdites décisions, enjoignant au Premier ministre de prendre ce décret dans un délai de six mois à compter de la notification de sa décision, une astreinte de 200 € par jour de retard étant fixée. 

Il est peu probable que cette faible astreinte convainque le Gouvernement de s’atteler enfin à la rédaction du décret mais gageons malgré tout que les délais imposés par le Conseil d’Etat seront respectés et que les modalités de publicité du mandat de protection future seront publiées dans les prochains mois.

Cela permettrait notamment à cette mesure de protection d’être davantage conseillée tant par les avocats que les notaires. 

D’autant qu’elle répond à un réel besoin : la nécessité d’organiser sa vie lorsque le mandant n’est plus apte à pourvoir seul à ses intérêts, selon ses exigences, ses envies, et en confiant cette mission à la personne de son choix. 

Si vous refusez qu’une mesure de protection vous soit imposée et que vous préférez décider de l’organisation de votre vie dans l’hypothèse où vous ne maitrisiez plus vos facultés intellectuelles, le cabinet saura vous conseiller et rédiger pour vous un mandat de protection future sur mesure, répondant à vos attentes. 

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