Jurisprudences
Rappel des règles applicables à la curatelle renforcée
Cass. civ. 1ère, 18 mai 2022, n°20-228.76
Protection des majeurs (tutelle – curatelle – sauvegarde)
Enseignement de l'arrêt
La curatelle renforcée est régie par des règles strictes concernant son ouverture, ses conséquences et son délai.
Le strict encadrement des mesures de protection
L’échelle des mesures de protection
Lorsqu’un majeur n’est plus en mesure de pourvoir seul à ses intérêts, le juge des contentieux de la protection (anciennement dénommé juge des tutelles) peut le placer sous une mesure de protection, ce qui doit bien entendu respecter des règles très strictes dans un objectif bien compris de protection des libertés personnelles.
La mise en place en place d’une mesure de protection doit donc respecter trois principes :
- le principe de nécessité (le majeur doit être dans l’incapacité de pourvoir seul à ses intérêts),
- le principe de subsidiarité (les intérêts du majeur ne peuvent pas être suffisamment protégés par des règles autres que celles concernant les mesures de protection judiciaires),
- le principe de proportionnalité (le juge doit mettre en place une mesure de protection en stricte adéquation avec l’état et les besoins du majeur protégé).
En fonction du degré d’incapacité du majeur, le juge des contentieux de la protection peut le placer sous sauvegarde de justice, curatelle, curatelle renforcée ou sous tutelle. Ainsi, selon la mesure « choisie » par le Magistrat, le majeur est plus ou moins libre de prendre des décisions relatives à sa personne et ses biens.
L’obligation de respecter toutes les règles afférentes à un régime de protection
Par Jugement du 16 mai 2018, une femme est placée sous tutelle pour une durée de 120 mois et privée de son droit de vote.
Par arrêt du 26 novembre 2019, la Cour d’appel de Rennes constate qu’effectivement les facultés mentales de la majeure sont altérées, que ses facultés de jugement sont compromises mais qu’elle doit seulement être assistée et contrôlée dans les actes de la vie civile et la gestion des biens (et non représentée). La Cour d’appel déclasse donc la mesure de tutelle en curatelle renforcée pour une durée de dix ans et la prive de son droit de vote.
La majeure protégée forme alors un pourvoi en cassation sur le fondement de l’article 472 du code civil selon lequel « Le juge peut également, à tout moment, ordonner une curatelle renforcée. Dans ce cas, le curateur perçoit seul les revenus de la personne en curatelle sur un compte ouvert au nom de cette dernière. Il assure lui-même le règlement des dépenses auprès des tiers et dépose l’excédent sur un compte laissé à la disposition de l’intéressé ou le verse entre ses mains. Sans préjudice des dispositions de l’article 459-2, le juge peut autoriser le curateur à conclure seul un bail d’habitation ou une convention d’hébergement assurant le logement de la personne protégée. La curatelle renforcée est soumise aux dispositions des articles 503 et 510 à 515. ».
La demanderesse au pourvoi considère, en effet, qu’une personne ne peut être placée sous curatelle renforcée que si elle a besoin d’une assistance pour la perception de ses revenus et l’engagement de ses dépenses et qu’en n’analysant pas si tel était le cas, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale.
Par un arrêt du 18 mai 2022, la Cour de cassation rejoint l’analyse de la majeure protégée et infirme l’arrêt d’appel. Elle rappelle effectivement qu’il appartient aux juges du fond, pour placer un majeur sous curatelle renforcée, de rechercher s’il est apte ou non à percevoir ses revenus et à en faire une utilisation normale.
La Cour rappelle également que selon l’article 441 du code civil « Le juge fixe la durée de la mesure sans que celle-ci puisse excéder cinq ans. Le juge qui prononce une mesure de tutelle peut, par décision spécialement motivée et sur avis conforme d’un médecin inscrit sur la liste mentionnée à l’article 431 constatant que l’altération des facultés personnelles de l’intéressé décrites à l’article 425 n’apparaît manifestement pas susceptible de connaître une amélioration selon les données acquises de la science, fixer une durée plus longue, n’excédant pas dix ans. » et que la mesure de curatelle renforcée ne pouvait donc pas être fixée pour une durée de dix ans.
Enfin, la Haute juridiction rappelle que selon l’article L72-1 du code électoral, « Le majeur protégé exerce personnellement son droit de vote pour lequel il ne peut être représenté par la personne chargée de la mesure de protection le concernant » et que la Cour d’appel a donc violé cet article en supprimant le droit de vote de la majeure.
L’importance des différences entre les régimes de protection
Un rappel bienvenu des règles applicables à la curatelle renforcée
La décision de la Cour de cassation n’a en réalité rien de surprenant : cet arrêt ne fait qu’appliquer les règles afférentes au régime de la curatelle renforcée.
Les textes sont en effet très clairs : cette mesure de protection ne peut être mise en place que lorsqu’un majeur n’est pas apte à percevoir ses revenus et à en faire une utilisation normale, elle ne peut pas être prononcée pour une durée supérieure à cinq ans et un majeur placé sous un régime de curatelle renforcée ne peut pas être privé de son droit de vente.
C’est finalement l’arrêt de la Cour d’appel de Rennes du 26 novembre 2019 qui est beaucoup plus surprenant en ce que les juges du fond ont fait totalement fi des règles applicables en la matière.
La Cour de cassation rappelle donc ici aux juges du fond que des règles précises régissent le régime de la curatelle renforcée, tant en ce qui concerne les raisons de son ouverture, que ses conséquences et son délai.
L’importance de distinguer les régimes de protection
Si la Cour de cassation ne fait ici que rappeler les règles claires en matière de curatelle renforcée, sa décision permet également et surtout d’assurer une protection effective des majeurs.
Les juges du fond ne peuvent effectivement pas décider des pouvoirs des majeurs protégés et des contours de leur protection.
La distinction entre les différents régimes de protection est donc primordiale : ce n’est qu’en analysant les critères propres à chaque régime que les juges peuvent déterminer si un régime est adapté ou non à un majeur.
Il n’est donc pas question de mélanger les causes ou les effets de ces régimes pour aboutir à une situation qui, selon le juge saisi, serait adéquate.
Il s’agit au contraire d’appliquer strictement le corpus de règles prévu pour chaque régime de protection, seule façon de protéger effectivement les majeurs qui en ont besoin et qui ne peuvent pas être privés de toute liberté sous prétexte d’une altération de leurs facultés intellectuelles.
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