Jurisprudences
Régime de protection – L’habilitation familiale avec représentation : les actes interdits même sur autorisation du juge des tutelles
Cass. civ. 1ère, 20 oct. 2022, n°22-70.011
Protection des majeurs (tutelle – curatelle – sauvegarde)
Enseignement de l'arrêt
- La personne habilitée à représenter un majeur sur le fondement d’une mesure d’habilitation familiale de représentation ne peut être autorisée à accomplir les actes interdits au tuteur.
- Les actes emportant renonciation gratuite à un droit acquis ne peuvent en conséquence pas être autorisés par le juge des tutelles.
Rappel des faits et du contexte légal
Dans un arrêt de la Cour de cassation du 20 octobre 2022, une personne habilitée à représenter un majeur pour tous les actes relatifs à sa personne et à ses biens saisit le juge des tutelles d’une requête aux fins de pouvoir renoncer, au nom du majeur, à la clause bénéficiaire d’un contrat d’assurance vie souscrit par son conjoint décédé.
Il convient de préciser à titre liminaire que la mesure d’habilitation familiale de représentation, régie par les articles 494-1 et suivants du code civil, permet aux personnes désignées par le juge du contentieux de la protection des majeurs de le représenter :
- dans tous les actes d’administration : la gestion courante de ses biens, l’exploitation et la mise en valeur de son patrimoine,
- dans tous les actes de disposition : actes engageant le patrimoine de la personne protégée, à la seule exception des actes de disposition à titre gratuit qui doivent expressément être autorisés par le juge du contentieux de la protection des majeurs (ancien juge des tutelles),
La question posée en l’espèce a suscité l’interrogation des juges qui en ont référé à la Cour de cassation. Le doute était permis puisque :
- par principe, la personne habilitée peut réaliser les actes à titre gratuit sur autorisation du juge des tutelles,
- toutefois, en matière de tutelle, régime auquel il est largement fait référence par les articles du code civil relatifs au régime de l’habilitation familiale, la renonciation gratuite à un droit acquis est interdite.
L’autorisation du juge du contentieux de la protection (ancien juge des tutelles) pour les actes à titre gratuit en présence d’une habilitation familiale
L’article 494-6 du code civil dispose que « L‘habilitation peut porter sur :
- un ou plusieurs des actes que le tuteur a le pouvoir d’accomplir, seul ou avec une autorisation, sur les biens de l’intéressé ;
- un ou plusieurs actes relatifs à la personne à protéger. Dans ce cas, l’habilitation s’exerce dans le respect des dispositions des articles 457-1 à 459-2 du code civil.
La personne habilitée ne peut accomplir en représentation un acte de disposition à titre gratuit qu’avec l’autorisation du juge des tutelles (…) ».
Il en résulte que si l’on se réfère aux articles du code civil relatif à la mesure d’habilitation familiale rien n’empêche le juge d’autoriser la personne habilitée à réaliser un acte à titre gratuit tel que la renonciation à une clause bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie.
Les actes interdits en matière de tutelle
Dans le même temps, l’article 509 du code civil dispose que :
« Le tuteur ne peut, même avec une autorisation :
- 1° Accomplir des actes qui emportent une aliénation gratuite des biens ou des droits de la personne protégée sauf ce qui est dit à propos des donations, tels que la remise de dette, la renonciation gratuite à un droit acquis, la renonciation anticipée à l’action en réduction visée aux articles 929 à 930-5, la mainlevée d’hypothèque ou de sûreté sans paiement ou la constitution gratuite d’une servitude ou d’une sûreté pour garantir la dette d’un tiers ;
- 2° Acquérir d’un tiers un droit ou une créance que ce dernier détient contre la personne protégée ;
- 3° Exercer le commerce ou une profession libérale au nom de la personne protégée ;
- 4° Acheter les biens de la personne protégée ainsi que les prendre à bail ou à ferme, sous réserve des dispositions de l’article 508 ;
- 5° Transférer dans un patrimoine fiduciaire les biens ou droits d’un majeur protégé. »
L’acte dont il était demandé autorisation en l’espèce, à savoir la renonciation à une clause bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie, constitue une « renonciation gratuite à un droit acquis ». Il s’agit donc d’un acte que le tuteur ne peut par principe pas réaliser seul.
Réponse de la Cour de cassation : interdiction d’autoriser les actes interdits par l’article 509 du code civil
La cour de cassation apporte la réponse suivante : « L’article 494-6 du Code civil ne confère pas au juge le pouvoir de délivrer une habilitation familiale en représentation pour les actes visés à l’article 509 du Code civil et, a fortiori, celui d’autoriser la personne habilitée en représentation à accomplir ces actes ».
En présence d’une mesure d’habilitation familiale de représentation, l’article 494-6 du code précité opère une distinction entre :
- les actes à titre onéreux : l’habilitation peut porter sur des « actes que le tuteur peut accomplir seul ou avec une autorisation du juge des tutelles » ;
- les actes à titre gratuit : la personne habilitée doit être préalablement autorisée par le juge des tutelles.
Le législateur a donc déterminé les pouvoirs de la personne habilitée par référence à la tutelle. Ainsi, malgré la possibilité offerte par l’article 494-6, l’acte interdit au tuteur, visés par l’article 509 1° du Code civil à savoir la renonciation gratuite à un droit acquis, telle la renonciation à la clause bénéficiaire d’un contrat d’assurance sur la vie souscrit par le conjoint décédé de la majeure, est également inaccessible pour la personne habilitée.
En ce sens, la Haute juridiction précise que « L’habilitation ne pouvant porter que sur les actes que le tuteur peut accomplir, seul ou avec une autorisation, il en résulte qu’elle ne peut porter sur les actes que le tuteur ne peut accomplir, même avec une autorisation, lesquels sont énoncés à l’article 509 du Code civil. La nécessité, pour la personne habilitée, d’obtenir l’autorisation du juge pour accomplir en représentation un acte de disposition à titre gratuit ou, à titre exceptionnel et lorsque l’intérêt de la personne protégée l’impose, un acte pour lequel elle serait en opposition d’intérêts avec celle-ci ne lui confère pas le pouvoir d’agir en dehors des limites ainsi fixées ».
Deux autres explications viennent au soutien de cette solution :
- si le législateur avait voulu déroger à l’article 509 du code civil, il l’aurait indiqué comme il l’a fait pour l’article 427 du code civil relatif à la protection des comptes bancaires par exemple (C. civ., art. 494-7),
- si le fondement de ce texte est de protéger le majeur vulnérable contre des actes dangereux ou d’éventuels conflits d’intérêts avec le protecteur, on doit considérer ces actes comme tout autant dangereux pour un majeur en habilitation familiale générale par représentation que pour un majeur en tutelle.
A toute fin utile, il convient de préciser que lorsque la personne protégée est mineure, la mesure d’habilitation permet au représentant de renoncer à un droit sur autorisation du juge des tutelle mais si l’on peut comprendre cette mesure de contrôle a priori pour un père ou une mère, il n’en va pas de même de la personne habilitée qui est choisie parmi les ascendants ou les descendants de la personne protégée, mais aussi ses frères et sœurs, son conjoint, son partenaire de pacs ou son concubin.
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