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Droit du patrimoine

Seule l’Assemblée Générale annuelle dispose du pouvoir de décider le report à nouveau bénéficiaire

Cass. com., 12 fév. 2025, n° RG 23-11.410

Patrimoine - Fiscalité

Enseignement de l'arrêt

La décision de distribuer des dividendes prélevés sur le report à nouveau bénéficiaire ne peut intervenir que lors de l’assemblée générale annuelle ayant pour ordre du jour l’approbation des comptes annuels.
Néanmoins tant qu’une assemblée générale n’est pas entachée de nullité, la décision de distribution des dividendes s’impose à la société et aux associés.

Le report à nouveau

La définition du report à nouveau

Le report à nouveau est une notion juridique et comptable liée à l’affectation des résultats d’une société.

Le report à nouveau correspond à une partie du résultat de l’exercice précédent dont l’affectation est différée, mise en attente pour être affectée à une date ultérieure, généralement lors de l’assemblée générale suivante.

Ce différé est décidé par l’assemblée générale ordinaire.

Le report à nouveau bénéficiaire regroupe les bénéfices non distribués ni affectés à des réserves. Ces montants sont alors disponibles pour des décisions futures de distribution ou d’affectation : « le report à nouveau représente une partie des bénéfices que la collectivité des associés ou l’assemblée décide de laisser en instance d’affectation jusqu’à une prochaine décision collective ou assemblée générale ordinaire ». (Mémento Sociétés commerciales – 2025).

Le report à nouveau peut également être déficitaire, lorsque les pertes d’un exercice sont laissées en attente d’imputation sur les bénéfices futurs ou sur les réserves disponibles (« le report à nouveau peut être déficitaire – cas où les résultats de la société se traduisent par des pertes) ». (Mémento Assemblées générales 2025-2026).

Le caractère temporaire du report à nouveau

Le report à nouveau se distingue des réserves par son caractère temporaire. Les montants inscrits au report à nouveau sont remis en question chaque année lors de l’assemblée générale, contrairement aux réserves qui sont constituées pour être conservées durablement.

Les faits et la procédure

Report à nouveau et vente des titres sociaux

Une assemblée générale d’une Société par action simplifiée (SAS) se réunit le 30 avril 2017 et approuve les comptes de l’exercice clôturé le 31 décembre 2016. L’assemblée générale vote l’affectation des bénéfices de l’exercice au compte « report à nouveau ». 

Le 22 mai 2017, les associés de la société concluent avec une société tiers une promesse de cession des actions de la SAS. Le 3 juillet suivant, l’assemblée générale se réunit de nouveau et décide la distribution de dividendes prélevés sur le report à nouveau décidé lors de l’assemblée générale annuelle ayant approuvé les comptes de l’exercice de l’année 2016.

Quelques jours après cette assemblée générale, la société tiers acquiert la totalité des actions de la SAS. 

En 2018, les associés assignent la société dont les actions ont été cédées en paiement des dividendes dont la distribution a été votée quelques jours avant la cession.

La décision de la Cour d’appel

La Cour d’appel rejette la demande des associés aux fins de paiements des dividendes dont la distribution a été votée le 3 juillet 2017.

Pour prononcer cette décision, la Cour d’appel adopte un raisonnement lié au droit des sociétés sans se limiter au seul texte des PV d’AG. Elle considère que le montant des capitaux propres de la société était avant la distribution des dividendes (décidée le 3 juillet 2017) inférieur au montant du capital augmenté des réserves non distribuables. La cour déduit qu’il ne pouvait donc être procédé à la distribution.

La motivation au pourvoi

Les associés forment un pourvoi en cassation et soutiennent que les délibérations d’une société s’imposent tant que la nullité de l’assemblée générale n’a pas été prononcée. En les déboutant de leur demande aux fins de paiement des dividendes dont la distribution a été votée lors de l’Assemblée générale du 3 juillet 2017, que la Cour d’appel n’aurait pas constaté la nullité préalable de l’assemblée générale et violé ainsi les dispositions de l’article 1102 du Code civil et celles de l’article L.235-1 du code de commerce.

  • Article 1102 du Code civil : « Chacun est libre de contracter ou de ne pas contracter, de choisir son cocontractant et de déterminer le contenu et la forme du contrat dans les limites fixées par la loi. La liberté contractuelle ne permet pas de déroger aux règles qui intéressent l’ordre public ».
  • Article L235-1 du Code de commerce : « La nullité d’une société ou d’un acte modifiant les statuts ne peut résulter que d’une disposition expresse du présent livre ou des lois qui régissent la nullité des contrats. En ce qui concerne les sociétés à responsabilité limitée et les sociétés par actions, la nullité de la société ne peut résulter ni d’un vice de consentement ni de l’incapacité, à moins que celle-ci n’atteigne tous les associés fondateurs. La nullité de la société ne peut non plus résulter des clauses prohibées par l’article 1844-1 du code civil. La nullité d’actes ou délibérations autres que ceux prévus à l’alinéa précédent ne peut résulter que de la violation d’une disposition impérative du présent livre, à l’exception de la première phrase du premier alinéa de l’article L. 225-35 et de la troisième phrase du premier alinéa de l’article L. 225-64, ou des lois qui régissent les contrats, à l’exception du dernier alinéa de l’article 1833 du code civil ».

La décision de la Cour de cassation

La Cour de cassation casse et annule la décision de la Cour d’appel au visa des articles 1103 du Code civil et L.235-1 du Code civil. 

  • Article 1103 du Code civil : « Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits »

La Cour motive sa décision comme suit : 

  • les délibérations d’une société commerciale s’imposent aux associés tant que la nullité n’en a pas été prononcée, 
  • en application de l’article L.232-11 du Code de commerce, le bénéfice distribuable est constitué par le bénéfice de l’exercice, diminué des pertes antérieures ainsi que des sommes à porter en réserve et augmenté du report bénéficiaire,
  • en application de l’article L.232-12 du Code de commerce, l’assemblée générale détermine la part attribuée aux associés sous forme de dividendes après approbation des comptes annuels et constatation de l’existence de sommes distribuables,

La combinaison de ces articles permet de préciser que le report à nouveau bénéficiaire est inclus dans le bénéfice distribuable lors de l’exercice suivant et que par conséquent, seule l’assemblée générale approuvant les comptes de cet exercice pourra décider son affectation et sa distribution. En conséquence, une assemblée générale autre que celle approuvant les comptes de l’exercice et qui décide la distribution d’un dividende prélevé sur le report à nouveau bénéficiaire d’un exercice précédent encourt la nullité.

La Cour d’appel en motivant sa décision sur le montant des capitaux propres de la société, alors que les délibérations de l’assemblée générale du 3 juillet 2017 n’avaient pas été entachées de nullité a violé les dispositions des articles précités. 

Tant que les délibérations de l’assemblée générale du 3 juillet n’étaient pas entachées de nullité, la décision de distribution des dividendes s’imposait à la société. 

En conclusion la Cour de cassation considère que la décision de distribution des dividendes prélevés sur un report à nouveau bénéficiaire ne peut intervenir que lors de l’assemblée générale ayant pour ordre du jour l’approbation des comptes d’un exercice. À défaut l’assemblée générale encourt la nullité.

Encore faut-il cependant qu’elle soit prononcée !