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Droit de la famille

Sexe neutre sur les états civils et respect de la vie privée

CEDH, 31 janv. 2023, n°76888/17

Etat civil, Droit international privé de la famille

Enseignement de l'arrêt

Le refus des autorités françaises de remplacer la mention « sexe masculin » par la mention « sexe neutre » ou « intersexe » sur l’acte de naissance ne viole pas l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme qui assure le droit au respect de la vie privée et familiale.  

Exposé de l’arrêt du 31 janvier 2023

Rappel des faits

Un enfant nait en France en 1951 et se trouve déclaré par ses parents à l’officier de l’état civil comme étant de sexe masculin.  

En 2015, cet enfant devenu adulte demande au procureur de la République de Tours de saisir le tribunal judiciaire afin qu’il remplace la mention « masculin » par la mention « sexe neutre » ou à défaut « intersexe ».  

Il fait notamment valoir que jusqu’à l’âge de 12 ans, il a cru être de sexe masculin avant la révélation de son ambiguïté sexuelle.  Il ajoute que le processus de différenciation sexuée ne s’est pas opéré in utero, et qu’il était impossible de déterminer à sa naissance s’il était garçon ou fille. Faute de testicules ou d’ovaires, son corps n’a jamais produit d’hormones sexuelles (testostérone ou œstrogène) et ne s’est ni masculinisé ni féminisé et, à l’adolescence, la puberté ne s’est pas déclenchée. 

A l’âge de 22 ans, le corps médical lui a alors proposé de conserver son statut actuel, de s’orienter vers le sexe féminin ou encore de procéder à une masculinisation partielle grâce à un traitement à base de testostérone.  

Il n’a jamais souhaité choisir entre l’un des deux sexes et la seule solution acceptable pour lui était d’être reconnu tel qu’il est, c’est-à-dire un être différent appartenant ni au sexe masculin, ni au sexe féminin.  

Il fait notamment valoir qu’aucun texte n’interdit l’inscription d’un troisième sexe et que la jurisprudence de la cour européenne des droits de l’homme implique qu’une personne intersexuée doit pouvoir bénéficier, si elle le désire, d’un changement d’état civil correspondant à la réalité. Ainsi, l’atteinte à la vie privée qu’il subirait, si cette inscription lui était refusée, ne serait pas justifiée au regard des conditions posées par l’article 8 de la CEDH sur le droit au respect de la vie privée et familiale.

  • Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 
  • Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

Position de la Cour d’appel d’Orléans

La cour d’appel d’Orléans déboute le requérant au motif que sa demande était en contradiction avec son apparence physique et son comportement social.  

La cour ajoute qu’en l’état des dispositions législatives en vigueur, il n’est pas envisagé la possibilité de faire figurer, à titre définitif, sur les actes d’état civil une autre mention que sexe masculin ou féminin et que la rectification de l’état civil du requérant reviendrait à reconnaître l’existence d’autre catégorie sexuelle allant au-delà du pouvoir d’interprétation de la norme du juge judiciaire.  La cour de cassation n’invalide pas ce raisonnement.

Apport de l’arrêt

La Cour européenne examine l’affaire au regard de l’obligation positive de l’État défendeur de garantir au requérant le respect effectif de sa vie privée. Elle vérifie ainsi notamment si ont été dûment mis en balance l’intérêt général et les intérêts de celui-ci.

La CEDH considère que les motifs tirés de la nécessité de préserver la cohérence et la sécurité des actes de l’état civil ainsi que l’organisation sociale et juridique du système français, avancés par les autorités nationales pour refuser la demande du requérant, sont pertinents. Elle prend également en considération le motif tiré de ce que la reconnaissance par le juge d’un « sexe neutre » aurait des répercussions profondes sur les règles du droit français et impliquerait de nombreuses modifications législatives de coordination. 

Même si le requérant précisait ne pas réclamer la consécration d’un droit général à la reconnaissance d’un troisième genre mais seulement la rectification de son état civil, cette demande aurait pour conséquence selon la CEDH que l’État défendeur soit appelé, en vertu de ses obligations au titre de l’article 46 de la Convention (sur la force obligatoire et l’exécution des arrêts), à modifier en ce sens son droit interne. 

  1. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.  

 

La Cour conclut que l’État français, compte tenu de la marge d’appréciation dont il disposait, n’a pas méconnu son obligation positive de garantir au requérant le respect effectif de sa vie privée, et qu’il n’y a donc pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

Si, par cet arrêt, la Cour laisse « à l’État défendeur le soin de déterminer à quel rythme et jusqu’à quel point il convient de répondre aux demandes des personnes intersexuées », une évolution est attendue sur ce point dans les prochaines années. À défaut, les juges européens pourront faire preuve de plus de fermeté, comme cela s’est déjà produit pour la reconnaissance d’un statut juridique pour les couples de même sexe. 

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