Jurisprudences
Succession – Abus de faiblesse : la prescription court à partir de l’établissement du testament
Cass. crim., 19 oct. 2022, n°22-81.975
Anticipations de successions
Enseignement de l'arrêt
Lorsque le testateur est victime d’un abus de faiblesse, le délai de prescription de l’action publique court à compter de la rédaction du testament, et non de l’ordonnance d’envoi en possession.
Rappel du contexte légal
Le testament
L’article 895 du code civil définit le testament comme suit :
« Le testament est un acte par lequel le testateur dispose, pour le temps où il n’existera plus, de tout ou partie de ses biens ou de ses droits et qu’il peut révoquer. »
Pour être valide, le testament est soumis à plusieurs conditions :
- D’abord, s’agissant des conditions de fond :
- Le testament nécessite l’existence et l’intégrité de la volonté du testateur (article 901 du code civil). De même, le testateur doit être sain d’esprit au moment de la rédaction de l’acte, sous peine de sanction par la nullité relative de celui-ci.
- Le testateur doit également être capable, ce qui signifie que le majeur placé sous tutelle doit être autorisé par le conseil de famille ou par le juge s’il souhaite rédiger un testament.
- Enfin, la cause du testament, c’est-à-dire les motifs de l’acte, doit être licite et morale.
- S’agissant des conditions de forme, le testament doit nécessairement être rédigé par écrit.
Trois formes de testaments sont autorisées par la loi :
- Le testament olographe, prévu à l’article 970 du code civil, est celui qui est entièrement rédigé, daté et signé de la main du testateur ;
- Le testament authentique, prévu aux articles 971 à 975 du code civil, est celui qui est déposé au rang d’un notaire en présence de deux témoins ou de deux notaires ;
- Le testament mystique, prévu aux articles 976 à 979 du code civil, est celui rédigé par le testateur et signé par lui puis remis clos, cacheté et scellé à un notaire en présence de deux témoins.
L’abus de faiblesse
L’abus de faiblesse est une infraction pénale sanctionnant un cas dans lequel un individu profite de la vulnérabilité d’un autre, afin de le conduire à un acte ou une abstention contraire à son intérêt. L’auteur de l’abus de faiblesse agit en connaissance de l’état de faiblesse et d’ignorance de la victime.
L’abus de faiblesse est sanctionné pénalement par l’article 223-15-2 du code pénal qui prévoit :
« Est puni de trois ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse soit d’un mineur, soit d’une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur, soit d’une personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement, pour conduire ce mineur ou cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables. »
Au plan civil, l’abus de faiblesse constitue un vice du consentement sanctionné par la nullité de l’acte. L’action en nullité pour abus de faiblesse est ouverte pendant 5 ans.
Apport de l’arrêt : le point de départ de l’abus de faiblesse en droit pénal
Faits et procédure
Un individu décède en 2014. Le frère du défunt dépose plainte pour abus de faiblesse à la suite du décès. Il considère qu’une tierce personne, proche de son frère, l’a déterminé à rédiger un testament en sa faveur le 14 avril 2005.
Deux ans plus tard, la plainte est classée sans suite. Le frère du défunt décide alors de se constituer partie civile, permettant ainsi l’ouverture d’une enquête par un juge d’instruction.
Le juge d’instruction rend une ordonnance de refus d’informer et considère que les faits reprochés à l’individu sont prescrits.
Un appel est formé contre cette décision et la Cour d’appel infirme l’ordonnance, considérant que le point de départ de l’abus de faiblesse est fixé au jour du dernier prélèvement sur le patrimoine du défunt.
Selon le raisonnement de la Cour d’appel, le délai de prescription avait commencé à courir dès la mise en œuvre des dispositions testamentaires du défunt, par l’ordonnance d’envoi en possession du legs rendue en 2014. Elle considère que cette ordonnance constitue le dernier prélèvement sur le patrimoine du testateur et s’inscrit dans le cadre d’un acte unique initié en 2005 par la rédaction du testament.
Apport de l’arrêt
La chambre criminelle de la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel, affirmant que le délai de prescription de l’action publique court, en cas d’abus de faiblesse d’un testateur, à compter de la date d’établissement du testament.
Dès lors, la prescription était donc acquise en 2008, étant précisé qu’aux termes de l’article 8 du code de procédure pénale dans sa version en vigueur au 4 avril 2006, le délai de prescription de l’action pénale à l’encontre des délits est de 3 ans.
La Cour de cassation considère donc qu’en cas d’abus de faiblesse matérialisé dans un testament, l’infraction se réalise en plusieurs actes dont le dernier est la mise en œuvre du testament litigieux.
Aucun report du point de départ de la prescription n’est donc admis.
Or, il est à noter que depuis la loi du 14 mars 2011, le report du point de départ de la prescription au jour où l’abus de faiblesse a été connu de la victime est possible. Cette possibilité n’a pas été remise en cause par la réforme de la prescription pénale intervenue le 27 février 2017.
Désormais, le point de départ de la prescription est donc le jour où la victime se rend compte qu’elle a subi un abus. Dans notre cas d’espèce, il aurait donc fallu que le frère du défunt prenne connaissance de l’acte litigieux au moment du règlement de la succession de son frère et qu’il rapporte la preuve d’un préjudice personnel en raison de l’infraction pour tenter de s’ouvrir à lui-même un nouveau délai.
Prescription de l’action en nullité du testament sur le plan civil : comparaison
A titre de comparaison, rappelons que l’action en nullité du testament pour vice du consentement se prescrit par cinq ans à compter de la découverte du vice, conférant ainsi un avantage indéniable à l’action civile.
Cela permet donc aux héritiers du défunt d’engager une action civile lorsqu’ils prennent connaissance de l’abus de faiblesse du testateur et ce, sans considération de la date de l’acte.
En conclusion, deux actions sont ouvertes aux héritiers :
- L’action autonome en nullité du testament devant le juge civil ;
- La plainte avec constitution de partie civile devant le juge pénal, à condition pour l’héritier de rapporter la preuve d’un préjudice personnel et direct résultant de l’acte.
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