Jurisprudences
Succession : annulation de la révocation d'une donation pour illicéité de la cause
Cass. civ. 1ère, 30 nov. 2022, n°21-11.507
Liquidation et partage de successions, Anticipations de successions
Enseignement de l'arrêt
Un contrat de révocation d’une donation peut être sujet à nullité si sa cause réside dans l’objectif des contractants de contourner des dispositions d’ordre public.
La transmission entre vifs
Modalité de transmission : la donation
L’article 894 du code civil dispose que « La donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l’accepte. »
Une donation consiste donc à transmettre de son vivant une partie de son patrimoine sans recevoir de contrepartie. Le ou les bénéficiaires (les « donataires ») se voient transférer la propriété du ou des biens de la personne qui réalise la donation (le « donateur »). La donation est un acte qui peut concerner des sommes d’argent, un bien immobilier ou mobilier, un véhicule, une œuvre d’art, des sommes d’argent, etc.
Dans tous les cas, pour caractériser une donation, deux éléments doivent être réunis :
- un élément matériel : un dépouillement irrévocable du donateur au profit du ou des donataires ;
- un élément moral : une intention libérale du donateur, qui a souhaité transmettre les fonds ou les biens à titre gratuit (et non à titre onéreux).
La donation est donc un contrat par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement sans contrepartie et dans une intention libérale d’un bien présent lui appartenant en faveur d’une personne qui l’accepte (article 894 du Code civil). Elle est soumise à la fois aux règles du droit commun des contrats et aux règles spécifiques du droit des successions.
« La donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l’accepte. »
La loi prévoit que le donateur doit être en possession de toutes ses facultés intellectuelles et avoir la capacité juridique pour transmettre ses biens.
En principe la donation entre vifs doit être passée devant Notaire selon les termes de l’article 931 du Code civil qui dispose : « Tous actes portant donation entre vifs seront passés devant notaires dans la forme ordinaire des contrats ; et il en restera minute, sous peine de nullité. »
A défaut d’acte authentique, la donation encourt en théorie la nullité absolue. Cependant, trois sortes de donations échappent à ce formalisme :
- le don manuel : il s’effectue par la remise de la chose de la main à la main ou de compte bancaire à compte bancaire. Ce don doit en principe faire l’objet d’une déclaration auprès de l’administration fiscale, sans que cette condition influe cependant sur la validité de la donation en elle-même.
- la donation déguisée : elle suppose que les parties dissimulent l’acte à titre gratuit sous l’apparence d’un acte onéreux. Les parties font parfois deux actes : un acte apparent à titre onéreux et une contre-lettre qui est l’acte à titre gratuit correspondant à leur volonté réelle. Cette contre-lettre n’est pas nécessaire à la caractérisation de la donation déguisée. L’exemple classique est la signature d’une vente officielle et la rédaction d’une contre-lettre indiquant que le prix ne sera pas payé.
Cette requalification d’un acte à titre onéreux en acte à titre gratuit est facilitée par la loi pour un certain nombre d’actes jugés suspects. La vente à fonds perdus à un héritier successible est notamment concerné. La loi pose expressément pour ces actes une présomption de gratuité voulue par le vendeur, à charge pour les héritiers de démontrer l’inverse.
- la donation indirecte : il s’agit d’une donation réalisée par un acte autre qu’une donation sans volonté de cacher la nature de l’acte réalisé (exemple : remise de dette, vente à vil prix, paiement d’un prix, d’une dette ou d’un crédit à la place d’un enfant par exemple).
Ces donations ne sont pas nulles, elles doivent cependant être judiciairement reconnues comme telles pour être rapportées dans la succession du donateur.
Protection des héritiers et minimum successoral garanti par la réserve
Dans le cadre du règlement d’une succession, la question des donations est immanquablement liée à celle du respect des droits légaux des héritiers et notamment au minimum successoral que la loi leur garantit.
Réserve héréditaire
Il s’agit d’une part – plus ou moins importante – du patrimoine de chacun « réservée » à ses descendants et dont le propriétaire lui-même ne peut se dessaisir librement à leur préjudice. Cette quote-part varie selon le nombre d’enfants.
Enfants | Réserve héréditaire | Quotité disponible |
1 | 1/2 des biens | 1/2 des biens |
2 | 2/3 des biens | 1/3 des biens |
3 et plus | 3/4 des biens | 1/4 des biens |
La partie restante appelée « quotité disponible« , est gérée à la guise de son propriétaire qui peut choisir de le donner de son vivant ou par testament à toute personne.
Les dispositions du code civil relatives à la réserve héréditaires sont dites « d’ordre public », en d’autre termes il n’est pas possible d’y déroger même par voie contractuelle.
L’article 1102 du code civil dispose à cet effet que « Chacun est libre de contracter ou de ne pas contracter, de choisir son cocontractant et de déterminer le contenu et la forme du contrat dans les limites fixées par la loi.La liberté contractuelle ne permet pas de déroger aux règles qui intéressent l’ordre public. »
Réintégration des donations
Une fois ces quotes-parts déterminées, pour traiter les donations et s’assurer du respect des droits des autres héritiers réservataires en présence, il faut dans un premier temps ajouter au patrimoine existant du de cujus, les éventuelles donations consenties de son vivant.
Toutes les donations doivent être réunies fictivement (donation simple, donation-partage, donation déguisée, donation indirecte, etc.).
En effet, la loi veille à ce que le défunt n’ait pas indirectement déshérité en tout ou partie ses héritiers réservataires en donnant « trop » de biens de son vivant : c’est le mécanisme de la réintégration et du rapport des donations.
Opérations de réduction
Une fois ces premières opérations de vérifications effectuées, il est possible que certains héritiers bénéficient de droits qui empiètent sur la réserve de leurs cohéritiers.
Dans ce cas, la réduction contraint les bénéficiaires des libéralités à restituer le trop-perçu dans l’objectif de préserver la réserve héréditaire qui peut être qualifiée de minimum successoral garanti.
Précisions apportées par la Cour de cassation
Les faits de l’arrêt du 30 novembre 2022
La Cour de cassation dans un arrêt en date du 30 novembre 2022 n°21-11.507 prononcé par la première chambre civile éclaire la difficile articulation entre le droit des contrats et l’ordre public successoral évoqué ci-avant.
En l’espèce, un héritier avait bénéficié d’une donation de sa mère, avec laquelle il avait acquis des parts de société, lesquelles avaient rapidement pris une valeur importante.
La veille d’une opération médicale importante de sa mère, craignant que ses co-héritiers ne lui demandent un rapport très important de la donation, le même héritier avait conjointement avec cette dernière décidé de révoquer cette donation et remboursé à sa mère les sommes données (il est par ailleurs rappelé qu’à défaut d’accord commun des parties à l’acte les donations sont par principe irrévocables).
Sa sœur, héritière réservataire a invoqué la fraude quant à la révocation évoquée et a sollicité la nullité de celle-ci dans le cadre du contentieux lié aux opérations de partage de la succession. Elle est déboutée par les juges du fond et se pourvoit en cassation.
La Cour de cassation devait donc trancher la question de la validité d’un acte révocatoire au regard du mécanisme de protection que constitue la réserve héréditaire.
La nécessité d’observer la cause de la révocation conjointe
L’arrêt du 30 novembre 2022 prends le contre-pied des juges du fond, casse et annule la décision de la Cour d’appel de Rennes, au motif notamment que « En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la cause de l’acte révocatoire ne résidait pas dans la volonté des parties de contourner les dispositions d’ordre public de l’article 922 du code civil, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »
Ce faisant, la Haute juridiction fait droit aux demandes de la demanderesse au pourvoi qui indiquait au soutien de ses prétentions que la cause subjective d’un contrat doit être licite sous peine de nullité et s’entend des mobiles ayant conduit les contractants à s’engager.
En d’autres termes, et même si l’affaire concernée a été jugée sous l’empire des anciennes dispositions relatives au droit des contrats, la révocation d’une donation par principe est licite. Toutefois, si l’objectif de cette révocation est de faire échec au mécanisme de la réserve héréditaire et donc à l’ordre public successoral, le contrat passé entre les parties peut être annulé.
Compte-tenu de la rédaction du nouvel article 1162 du code civil qui dispose que « le contrat ne peut déroger à l’ordre public ni par ses stipulations, ni par son but, que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties. » la solution retenue par la Cour de cassation reste pleinement applicable malgré la réforme du droit des contrats.
La Cour d’appel de renvoi, saisi après l’arrêt de la Cour de cassation, aura donc la tâche de motiver sa décision par la recherche de faits démontrant la licéité ou l’illicéité de l’opération de révocation, qui avantage sans commune mesure le donataire.
Dans le cas d’espèce, ce sont à la fois les conséquences de la révocation sur le règlement de la succession et les « manœuvres frauduleuses » réalisées par l’héritier concerné et sa mère qui rendent la « cause » de la convention de révocation de la donation illicite.
Supériorité relative des dispositions d’ordre public successoral
Cet arrêt à la frontière du droit des contrats s’inscrit dans une dynamique assez usuelle de la Haute juridiction qui se montre gardienne du respect du mécanisme de la réserve héréditaire.
On retrouve en effet fréquemment des décisions similaires en matière de successions internationales où le respect de l’ordre public successoral est fréquemment l’objet de difficultés.
Toutefois, la notion d’ordre public a ses limites. Rappelons qu’il est ainsi durablement établi que la loi étrangère ne connaissant pas la réserve héréditaire peut produire des effets en France. La Cour de cassation a pu le rappeler dans une série d’arrêts rendus en 2017 et notamment le 27 septembre 2017 n°16-17.198 : la loi étrangère qui ne respecterait pas la réserve héréditaire française n’est pas par principe contraire à l’ordre public successoral international français et ne doit être écartée que si son application concrète conduit les parties dans une situation de précarité économique ou de besoin.
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