Jurisprudences
Succession : fin de la déduction des dettes de quasi-usufruit sauf exceptions
Loi de finance pour 2024
Liquidation et partage de successions
Enseignement de l'arrêt
De manière inattendue, le législateur a introduit, aux termes de la loi de finance pour 2024, un nouvel article 774 bis du Code général des impôts visant à neutraliser les avantages fiscaux liés à la constitution d’un quasi-usufruit sur des sommes d’argent. En vertu de ce texte, la dette de restitution liée à un quasi-usufruit ne sera plus déductible pour le calcul de l’actif net successoral, sauf exceptions.
Parallèlement, le nu-propriétaire sera, lors de la consolidation de son droit, soumis, au titre de sa créance de restitution, aux droits de succession en fonction de son lien de parenté avec l’usufruitier (apprécié au moment de la succession ou de la constitution du quasi-usufruit).
Rappel du régime de la donation d’une somme d’argent en démembrement de propriété
La donation de la nue-propriété d’un bien laisse au donateur la propriété de l’usufruit ; appelée quasi-usufruit lorsque l’objet de la donation est une somme d’argent.
Cette donation crée un démembrement entre nu-propriétaire et usufruitier et entraîne l’obligation pour l’usufruitier de restituer le bien objet du quasi-usufruit, en l’occurrence la somme d’argent, à son décès.
La donation de la nue-propriété est soumise à une imposition aux droits de mutation à titre gratuit. Ces derniers sont déterminés par un pourcentage de la valeur de la pleine propriété, selon un barème déterminé en fonction de l’âge de l’usufruitier au moment de la donation. L’assiette soumise à l’impôt est donc d’autant plus réduite que l’usufruitier est jeune.
La reconstitution de la pleine propriété entre les mains de l’ex-nu-propriétaire s’effectue en franchise d’impôt au décès de l’usufruitier.
Enfin, pour la liquidation des droits de mutation par décès, la dette de restitution du quasi-usufruit, égale au montant de la somme donnée en nue-propriété, était déduite à l’actif de la succession du quasi-usufruitier lors de son décès. L’article 768 du Code général des impôts prévoyait en effet que les dettes à la charge du défunt sont déduites lorsque leur existence au jour de la succession est dûment justifiée par tous modes de preuve.
« Pour la liquidation des droits de mutation par décès, les dettes à la charge du défunt sont déduites lorsque leur existence au jour de l’ouverture de la succession est dûment justifiée par tous modes de preuve compatibles avec la procédure écrite. ».
Introduction d’un nouvel 774 bis du Code général des impôts
Renversement de la possibilité de la déduction de la créance de restitution
La loi de finance 2024 institue un dispositif anti-abus en matière de droit de mutation à titre gratuit conduisant à la non-déductibilité de l’actif successoral, de la dette de restitution portant sur une somme d’argent dont le défunt s’était réservé l’usufruit et avait donné la nue-propriété.
La déductibilité est seulement maintenue dans deux exceptions prévues par le nouvel article 774 bis du Code général des impôts :
- Les dettes de restitution contractées sur le prix de cession d’un bien dont le défunt s’était réservé l’usufruit, sous réserve qu’il soit justifié que ces dettes n’ont pas été contractées dans un but principalement fiscal,
- Dans le cas des usufruits résultant d’une transmission par décès au conjoint survivant (article 757 et 1094-1 du Code civil).
« Si l’époux prédécédé laisse des enfants ou descendants, le conjoint survivant recueille à son choix, l’usufruit de la totalité des biens existants ou la propriété du quart des biens lorsque tous les enfants sont issus des deux époux et la propriété du quart en présence d’un ou plusieurs enfants qui ne sont pas issus des deux époux ».
« Pour le cas où l’époux laisserait des enfants ou descendants, issus ou non du mariage, il pourra disposer en faveur de l’autre époux, soit de la propriété de ce dont il pourrait disposer en faveur d’un étranger, soit d’un quart de ses biens en propriété et des trois autres quarts en usufruit, soit encore de la totalité de ses biens en usufruit seulement.
Sauf stipulation contraire du disposant, le conjoint survivant peut cantonner son émolument sur une partie des biens dont il a été disposé en sa faveur. Cette limitation ne peut être considérée comme une libéralité faite aux autres successibles. »
La fiscalité de la réunion de l’usufruit
Par ailleurs, en ce qui concerne le régime fiscal appliqué à la réunion de l’usufruit et de la nue-propriété, l’article 774 II bis du Code général des impôts vient déroger à la franchise d’impôt prévue à l’article 113 du même code.
La valeur correspondant à la dette de restitution qui ne vient pas réduire la valeur de l’actif successoral donnera donc lieu à la perception de droits de mutation par décès par le nu-propriétaire et calculés d’après le degré de parenté existant entre ce dernier et l’usufruitier.
Les droits déjà acquittés par le nu-propriétaire, lors de la donation de la nue-propriété avec réserve d’usufruit, seront toutefois imputables sur les droits de succession dus par le nu-propriétaire lors de la réunion de la nue-propriété et de l’usufruit, sans pouvoir néanmoins donner lieu à restitution si ceux-ci venaient à leur être supérieurs.
Ces mesures sont applicables aux successions ouvertes à compter du 29 décembre 2023, date de promulgation de la loi de finances pour 2024.
« I.-Ne sont pas déductibles de l’actif successoral les dettes de restitution exigibles qui portent sur une somme d’argent dont le défunt s’était réservé l’usufruit.
Le présent I ne s’applique ni aux dettes de restitution contractées sur le prix de cession d’un bien dont le défunt s’était réservé l’usufruit, sous réserve qu’il soit justifié que ces dettes n’ont pas été contractées dans un objectif principalement fiscal, ni aux usufruits qui résultent de l’application des articles 757 ou 1094-1 du code civil.
II.-Par dérogation à l’article 1133 du présent code, la valeur correspondant à la dette de restitution non-déductible de l’actif successoral mentionnée au I du présent article donne lieu à la perception de droits de mutation par décès dus par le nu-propriétaire et calculés d’après le degré de parenté existant entre ce dernier et l’usufruitier, au moment de la succession ou de la constitution de l’usufruit, si les droits dus sont inférieurs.
Pour la liquidation des droits dus lors de la succession, en application du présent II, l’article 784 ne s’applique ni sur la valeur des sommes d’argent dont le défunt s’était réservé l’usufruit ni sur celle des biens dont le défunt s’était réservé l’usufruit du prix de cession.
Les droits acquittés lors de la constitution de l’usufruit sont imputés sur les droits dus par le nu-propriétaire, sans pouvoir donner lieu à restitution. »