Jurisprudences
Succession : manifestation de la volonté du conjoint survivant de bénéficier du droit viager au logement
Cass. civ. 1ère, 25 oct. 2023, n°21-23.999
Liquidation et partage de successions, Anticipations de successions
Enseignement de l'arrêt
- Le maintien dans les lieux est insuffisant à lui seul pour caractériser la volonté du conjoint survivant de bénéficier du droit viager au logement.
- La production d’attestations d’assurance et la preuve de l’entretien du bien ne sont pas suffisantes pour caractériser la manifestation de volonté du conjoint survivant de vouloir bénéficier du droit viager au logement.
Rappel des dispositions légales
En droit français, le conjoint survivant au-delà de sa quote-part sur les biens dépendant de la succession de son défunt époux dispose de deux droits au logement :
- le droit temporaire au logement qui lui garantit le droit de se maintenir dans le logement qu’il occupait avec son époux au moment du décès. Il s’agit d’un droit d’ordre public dont il ne peut être privé ;
- le droit viager au logement dont il peut être privé par testament authentique.
L’article 764 du Code civil prévoit que le conjoint survivant dispose d’un droit viager d’habitation sur le logement appartenant aux époux, logement occupé à l’époque du décès de son conjoint à titre d’habitation principale.
« Sauf volonté contraire du défunt exprimée dans les conditions de l’article 971, le conjoint successible qui occupait effectivement, à l’époque du décès, à titre d’habitation principale, un logement appartenant aux époux ou dépendant totalement de la succession, a sur ce logement, jusqu’à son décès, un droit d’habitation et un droit d’usage sur le mobilier, compris dans la succession, le garnissant.
La privation de ces droits d’habitation et d’usage exprimée par le défunt dans les conditions mentionnées au premier alinéa est sans incidence sur les droits d’usufruit que le conjoint recueille en vertu de la loi ou d’une libéralité, qui continuent à obéir à leurs règles propres.
Ces droits d’habitation et d’usage s’exercent dans les conditions prévues aux articles 627, 631, 634 et 635.
Le conjoint, les autres héritiers ou l’un d’eux peuvent exiger qu’il soit dressé un inventaire des meubles et un état de l’immeuble soumis aux droits d’usage et d’habitation.
Par dérogation aux articles 631 et 634, lorsque la situation du conjoint fait que le logement grevé du droit d’habitation n’est plus adapté à ses besoins, le conjoint ou son représentant peut le louer à usage autre que commercial ou agricole afin de dégager les ressources nécessaires à de nouvelles conditions d’hébergement ».
Le conjoint survivant ne peut ainsi réclamer le bénéfice de son droit que sur les biens qu’il habite réellement et non sur ceux que le de cujus destinait à son habitation.
L’article 765-1 du Code civil précise que le conjoint survivant dispose d’un an à partir du décès pour manifester sa volonté de bénéficier de ce droit d’habitation.
« Le conjoint dispose d’un an à partir du décès pour manifester sa volonté de bénéficier de ces droits d’habitation et d’usage. »
Le bénéfice du droit d’habitation n’est pas acquis automatiquement au conjoint, qui doit en faire la demande. Il dispose d’une année à compter de l’ouverture de la succession pour manifester sa volonté.
Faits de l’espèce
1. Monsieur L est décédé le 16 décembre 2014.
Il laisse pour lui succéder :
- son épouse, séparée de biens, Madame L ;
- son fils F, issu d’une première union.
2. Des difficultés surviennent dans le cadre du règlement de la succession.
Les Juges du fond ont accordé à la conjointe un droit viager au logement sur un bien immobilier.
Position de la Cour de cassation
La première question qui se pose est de savoir si la conjointe avait formulé sa demande de droit viager au logement au sein de son assignation. Les juges d’appel ont répondu par la positive en considérant que Madame L avait formulé dans son assignation du 16 décembre 2015 (soit juste dans le délai d’un an après le décès de son mari) la demande de bénéficier du droit viager sur ledit bien.
Le fils conteste la décision des Juges du fond en considérant qu’ils ont dénaturé les termes de l’assignation de Madame L.
La Cour de cassation suit le raisonnement du fils et considère que l’assignation de Madame L ne formulait pas la demande de bénéficier de son droit viager au logement. Elle considère ainsi que la Cour d’appel a dénaturé les termes clairs et précis de l’assignation de la conjointe.
La deuxième question réside dans l’appréciation de la manifestation tacite de volonté de la conjointe de bénéficier de son droit viager au logement.
La Cour d’appel retient – pour retenir le droit viager au logement de la conjointe – que celle-ci justifie avoir occupé les lieux et que sa volonté d’en bénéficier résulte d’en avoir assuré l’entretien et d’avoir embauché un salarié la production d’attestations de factures et de factures d’entretien (« la production d’une attestation d’assurance jusqu’en 2018, qu’elle en assurait l’entretien au regard des factures d’intervention des 22 mai 2015, 22 juillet 2015, 20 octobre 2015, 10 novembre et 14 novembre 2015 et qu’elle employait un salarié à ce domicile en 2017 et 2018 »).
La Cour de cassation rappelle tout d’abord que si la manifestation de volonté de bénéficier du droit viager peut être tacite, elle ne peut résulter du seul maintien dans les lieux. Le maintien dans les lieux doit donc être corroboré par d’autres éléments.
Elle casse et annule l’arrêt d’appel, considérant que la volonté du conjoint survivant n’est pas suffisamment corroborée par la fourniture d’attestations d’assurance et preuve de l’entretien du bien. De tels éléments sont insuffisants pour un conjoint survivant pour exercer sans équivoque son droit viager au logement.
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