Jurisprudences
Succession - Réalisation de travaux par l'usufruitier et libéralité rapportable
Cass. civ. 1ère, 23 oct. 2024, n°22-20879
Liquidation et partage de successions
Enseignement de l'arrêt
La réalisation de travaux d’amélioration par l’usufruitier peut être constitutive d’une libéralité, même si ceux-ci sont légalement à sa charge, dans l’hypothèse où les travaux ne sont pas réalisés de manière contrainte et où l’usufruitier n’en tire aucune contrepartie à son bénéfice.
Rappels juridiques
Usufruit et charges des travaux afférents au bien immobilier soumis au démembrement de propriété
L’article 578 du Code civil dispose que « l’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance ».
L’article 600 du Code civil dispose de son côté que « L’usufruitier prend les choses dans l’état où elles sont, mais il ne peut entrer en jouissance qu’après avoir fait dresser, en présence du propriétaire, ou lui dûment appelé, un inventaire des meubles et un état des immeubles sujets à l’usufruit ».
Le Code civil a prévu la répartition entre l’usufruitier et le nu-propriétaire de la charge des travaux afférents à un bien immobilier (article 605 du Code civil).
« L’usufruitier n’est tenu qu’aux réparations d’entretien. Les grosses réparations demeurent à la charge du propriétaire, à moins qu’elles n’aient été occasionnées par le défaut de réparations d’entretien, depuis l’ouverture de l’usufruit ; auquel cas l’usufruitier en est aussi tenu. »
La disposition suivante – l’article 606 du Code civil- précise que « Les grosses réparations sont celles des gros murs et des voûtes, le rétablissement des poutres et des couvertures entières. Celui des digues et des murs de soutènement et de clôture aussi en entier. Toutes les autres réparations sont d’entretien ».
Rapport des donations
Tout héritier doit rapporter à ses cohéritiers les donations qu’il a reçus du défunt, peu importe leur forme (donation directe ou indirecte, donation déguisée, don manuel, etc.). Cette obligation de rapport n’existe toutefois pas si les donations ont été faites hors part successorale.
« Tout héritier, même ayant accepté à concurrence de l’actif, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu’il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement ; il ne peut retenir les dons à lui faits par le défunt, à moins qu’ils ne lui aient été faits expressément hors part successorale.
Les legs faits à un héritier sont réputés faits hors part successorale, à moins que le testateur n’ait exprimé la volonté contraire, auquel cas le légataire ne peut réclamer son legs qu’en moins prenant. »
Faits de l’espèce
Par acte authentique du 25 janvier 1992, Monsieur et Madame [Z] consentent à leurs trois enfants une donation-partage portant sur la nue-propriété de leur patrimoine avec réserve d’usufruit au dernier vivant. Dans le cadre de cette donation-partage, Madame [L] reçoit la nue-propriété d’une maison d’habitation.
Madame Z finance des travaux dans cette maison à hauteur de 660 498 €.
Madame Z décède le 2 novembre 2016, en laissant pour lui succéder ses enfants, Madame [A], Madame [L], donataire de la maison, et Monsieur [O].
Des difficultés surviennent lors du règlement de la succession : il est soulevé que Madame [L] a été bénéficiaire d’une donation indirecte relative aux travaux sur le bien qu’elle a reçu en donation-partage en raison des travaux financés par sa mère.
La Cour d’appel donne raison à ses cohéritiers et considère que Madame [L] doit rapporter à la succession, la somme de 922 843 €. Elle considère que les travaux n’étaient nécessités ni par une contrainte de bail ni par une obligation légale de rénovation et qu’ainsi la de cujus s’était appauvrie au profit de la nue-propriétaire.
Madame [L] forme un pourvoi en cassation.
Position de la Cour de cassation
⮚ Madame [L] conteste la position de la Cour d’appel en considérant que :
- les travaux réalisés incombaient à l’usufruit en vertu de la loi et qu’ils ne peuvent donc être considérés comme une libéralité à l’égard du nu-propriétaire ;
- le montant de travaux d’aménagement incombant légalement à l’usufruitier était de 660 498 € seulement.
La Cour de cassation énonce tout d’abord que « la réalisation par l’usufruitier de travaux d’amélioration valorisant le bien n’est pas exclusif d’un dépouillement dans une intention libérale, constitutifs d’une libéralité, peu important que ceux-ci soient légalement à sa charge ».
Ainsi la réalisation par l’usufruitier de travaux d’amélioration valorisant le bien peut être considérée comme une libéralité, même si ces travaux sont légalement à sa charge, dès lors qu’il y a une intention libérale de sa part.
La Cour de cassation confirme ensuite la position de la Cour d’appel. Elle considère qu’elle a souverainement déduit qu’en finançant l’ensemble des travaux, la de cujus s’était appauvrie dans une intention libérale au profit de la nue-propriétaire. Ainsi la somme correspondante doit être rapportée à la succession.
Les travaux réalisés relevaient de la rénovation de la propriété afin de rendre habitable l’ancien logement de garde resté longtemps désaffecté, sans eau courante, ni salle de bains, ni système de chauffage. Or de tels travaux n’étaient pas rendus nécessaires par une contrainte de bail et l’intéressée n’en avait tiré aucun profit à son bénéfice.
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