Jurisprudences
Successions : donation de biens communs et action en réduction
Cass. civ. 1ère, 5 janv. 2023, n°21-13.151
Liquidation et partage de successions
Enseignement de l'arrêt
La réduction de la donation de biens communs, réputée consentie par moitié par chacun des époux, ne peut être demandée par les enfants communs qu’à due proportion, lors de l’ouverture de chacune des successions des codonateurs.
Donation de biens communs et action en réduction : définitions et textes applicables
La donation de biens communs
La donation de biens communs constitue l’acte de disposition par lequel l’un des époux, ou les deux, donnent à un ou plusieurs enfants un bien dont ils sont propriétaires en commun.
Par principe, l’article 1422 du code civil prévoit que : « Les époux ne peuvent, l’un sans l’autre, disposer entre vifs, à titre gratuit, des biens de la communauté. ».
Toutefois, la donation de biens communs à un ou plusieurs enfants communs est possible :
- lorsque les époux se portent codonateurs ;
- lorsqu’un seul des époux est donateur et que l’autre époux intervient à l’acte de donation pour donner son consentement (sans lui-même avoir l’intention de donner sa part).
Dans le cas où les époux se portent codonateurs, chacun des époux est alors réputé donateur pour moitié du bien commun. Ce principe ressort notamment de l’article 1438 du code civil qui prévoit que « Si le père et la mère ont doté conjointement l’enfant commun sans exprimer la portion pour laquelle ils entendaient y contribuer, ils sont censés avoir doté chacun pour moitié, soit que la dot ait été fournie ou promise en biens de la communauté, soit qu’elle l’ait été en biens personnels à l’un des deux époux ».
L’article 1439 précise quant à lui que « La dot constituée à l’enfant commun, en biens de la communauté, est à la charge de celle-ci. Elle doit être supportée pour moitié par chaque époux, à la dissolution de la communauté, à moins que l’un d’eux, en la constituant, n’ait déclaré expressément qu’il s’en chargerait pour le tout ou pour une part supérieure à la moitié. ».
L’action en réduction
L’article 920 du code civil prévoit que « Les libéralités, directes ou indirectes, qui portent atteinte à la réserve d’un ou plusieurs héritiers, sont réductibles à la quotité disponible lors de l’ouverture de la succession. »
L’action en réduction constitue l’action par laquelle un héritier réservataire peut obtenir des bénéficiaires de libéralités consenties par le défunt au-delà de la quotité disponible, la restitution de la part excédentaire de ces libéralités en vue de rétablir la réserve héréditaire qui a été entamée.
Apport de l’arrêt
Les faits et la procédure
Deux époux communs en biens apportent une aide financière à deux de leurs enfants par le biais d’une donation consentie au moyen de valeurs dépendant de la communauté.
Les époux décèdent respectivement les 6 octobre 2001 et 23 décembre 2013 et laissent pour leur succéder trois enfants.
Des difficultés surviennent lors du règlement des successions des deux parents. L’un des héritiers sollicite une action en déclaration de simulation en vue de la réduction des donations réalisées par les parents sur les biens communs.
La demanderesse fait également valoir que le délai de prescription de son action en déclaration de simulation avaient respectivement commencé à courir à la date du décès de sa mère en 2001, et à la date du décès de son père en 2013.
La Cour d’appel déclare irrecevable l’action intentée par la demanderesse en retenant que la prescription courait à compter du jour du décès du premier donateur, soit le 6 octobre 2001. Également, la Cour d’appel retient que le délai de 30 ans applicable antérieurement était toujours en cours à la date d’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 et que, l’action engagée par assignations des 25 avril et 2 mai 2016, soit plus de 5 ans après l’entrée en vigueur de la loi, était prescrite.
L’apport de l’arrêt
La Cour de cassation se positionne en contradiction en retenant qu’il résulte de la combinaison des articles 920, 1438 et 1439 du code civil que, sauf clause contraire, la donation de biens communs est réputée consentie à concurrence de moitié par chacun des époux, de sorte que sa réduction ne peut être demandée par les enfants communs, qu’à due proportion, à l’ouverture de chacune des successions des parents.
Également, la Première chambre civile précise que la demanderesse héritière disposait d’un délai de 5 ans à compter du décès du dernier donateur (en l’espèce, le père) pour engager une action en réduction dans la succession de ce celui-ci. Dès lors, la prescription de l’action en simulation intentée par la demanderesse n’était pas acquise.
En pratique, il est fréquent que conseillé par le notaire ou un avocat spécialisé en droit des successions, la donation de biens communs faite conjointement par les parents à un ou plusieurs enfants communs comporte une clause d’imputation sur la succession de l’époux prédécédé, de sorte que l’époux prédécédé est réputé avoir été seul donateur du bien commun.
En l’espèce, une telle clause n’avait pas été insérée à la donation consentie par les deux parents. La présomption légale prévue aux articles 1438 et 1439 du code civil est donc applicable et la donation est supportée par moitié par chacun des époux à la dissolution de la communauté. Précision que dans un arrêt rendu le 17 avril 2019, la Première chambre civile de la Cour de cassation a précisé que la donation d’un bien commun est rapportable par moitié à la succession de chacun des époux codonateurs et ce, même si postérieurement à l’acte de donation, les époux ont adopté le régime de communauté universelle avec clause d’attribution intégrale de la communauté au conjoint survivant (Civ. 1ère, 17 avril 2019, n°18-16.577).
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