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Procédure

Validité du choix de loi applicable à la liquidation du régime matrimonial par un accord procédural

Cass. civ. 1ère, 10 fév. 2021, n° 19-17.028

Procédure et pratiques professionnelles, Droit international privé de la famille

Enseignement de l'arrêt

  • La Cour de cassation admet l’existence d’un accord procédural sur la loi applicable à la détermination du régime matrimonial des parties, les régimes matrimoniaux relevant des droits librement disponibles.
  • L’accord procédural peut résulter des conclusions concordantes des parties.

 

Rappel du contexte légal

Fondement textuel

L’article 12 du code de la procédure civile prévoit que :

« Le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables.
Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée. 

Toutefois, il ne peut changer la dénomination ou le fondement juridique lorsque les parties, en vertu d’un accord exprès et pour les droits dont elles ont la libre disposition, l’ont lié par les qualifications et points de droit auxquels elles entendent limiter le débat. 

Le litige né, les parties peuvent aussi, dans les mêmes matières et sous la même condition, conférer au juge mission de statuer comme amiable compositeur, sous réserve d’appel si elles n’y ont pas spécialement renoncé ».

L’alinéa 3 de l’article 12 du code de procédure civile (CPC) autorise les parties à lier le juge sur les qualifications ou les règles de droit applicables. C’est un accord procédural dont l’objet est pour les parties d’imposer au juge l’application d’une loi autre que la loi normalement compétente.

Utilité en droit international privé

En droit international privé, cet accord procédural, permet aux parties à un litige de demander au juge d’appliquer une autre loi que celle désignée par la règle de conflit de lois. L’accord procédural permet aux parties à un litige d’écarter la règle de conflit de lois d’un commun accord.

Il convient de distinguer l’accord procédural de l’accord de fond. Dans le premier cas, l’accord élude la règle de conflit et n’a pour objet que le litige en cours. Dans le deuxième cas, l’accord découle de la règle de conflit et il est censé engager pour l’avenir les parties.

Les accords procéduraux sont assez rares en la matière, sans doute comme l’indique justement le Professeur B. Fauvarque-Cosson parce que « l’accord procédural suppose un accord et un procès, deux termes assez incompatibles » (B. Fauvarque-Cosson, L’accord procédural à l’épreuve du temps – Retour sur une notion française controversée, in Mél. P. Lagarde : D. 2005, p. 263 et s., spéc. n° 3).

Rappel des faits de la procédure

L’époux et l’épouse, tous deux de nationalité portugaise, sont mariés en 1970 à Etigny en France, sans contrat de mariage

Le 15 mars 2002, le juge aux affaires familiales prononce le divorce des époux et ordonne la liquidation de la communauté ayant existé entre les époux. 

Par jugement en date du 21 décembre 2012, le juge aux affaires familiales statue sur la composition de la communauté de biens existant entre les époux et renvoie les copartageants devant un notaire pour établir l’acte de partage.

Par acte du 27 novembre 2013, l’ex-époux assigne l’ex-épouse aux fins de consacrer la loi portugaise  comme applicable à leur régime matrimonial, ce qui aurait pour conséquence de caractériser un régime de séparation de biens entre les époux.

Le 20 février 2019, la cour d’appel de Paris considère que la demande de l’ex-époux est irrecevable car elle se heurte à la force de chose jugée dont est assortie le jugement irrévocable ordonnant le partage de la communauté qui existait entre les époux, notamment les jugements des 15 mars 2002 et 21 décembre 2012. 

En outre, la cour d’appel relève qu’au cours de la procédure tendant à la liquidation et au partage de leurs intérêts patrimoniaux, les parties, chacune assistée par un avocat, ont toutes deux conclu au regard des codes civil et de procédure civile français. Elle en a déduit que les deux parties ont entendu soumettre la détermination et la liquidation de leur régime matrimonial à la loi française. 

Enfin, la cour d’appel a condamné l’ex-époux de verser à son épouse une somme de 2.000€ au titre des dommages et intérêts car une demande se heurte à l’autorité de chose jugée d’une décision et justifie donc le paiement de dommages et intérêts. La demande tardive de l’ex-époux pour voir dire que la loi applicable était la loi portugaise a été jugée par la cour d’appel comme une manœuvre dilatoire. 

L’ex-époux se pourvoit en cassation. 

Il estime que :

  • l’autorité de chose jugée s’attache aux dispositifs des décisions et non à leurs motifs ;
  • que sa demande tendant à rendre applicable la loi portugaise au régime matrimonial qui existait entre lui et son épouse n’avait pas le même objet que les demandes tendant à déterminer la composition dudit régime matrimonial. Dit autrement, selon le moyen de cassation, la demande tendant à ce que le juge se prononce sur la loi applicable au régime matrimonial n’a pas le même objet que la demande tendant à ce qu’il se prononce sur les éléments patrimoniaux constitutifs de la communauté qui aurait pu exister entre époux et sur les modalités de sa liquidation.

En l’espèce, la Cour de cassation constate l’existence d’un accord procédural qui est intervenu lors de l’instance en partage. 

Elle confirme le raisonnement de la cour d’appel qui indique, qu’assistées de leurs avocats, les parties ont toutes deux conclu au regard des codes civil et de procédure civile français dans l’instance relative à la liquidation et au partage des intérêts patrimoniaux. 

Elle en déduit que la cour d’appel a ainsi caractérisé l’existence d’un accord procédural qui a vocation à produire effet tant pour l’instance en partage au cours de laquelle il est intervenu que pour celle engagée par la suite par l’époux. 

Ainsi, l’ex-époux ne saurait remettre en cause la compétence de la loi française qui a été appliquée, ni échapper au régime de la communauté légale auquel leur union a été soumise.

Apport de l’arrêt

Validité de l’accord procédural par conclusions concordantes

La Cour de cassation rejette le pourvoi en se plaçant sur le terrain de l’accord procédural.

Précisément, la question est de savoir si un accord procédural a tacitement été conclu entre les parties. 

Dans la positive, il n’était pas possible de contester l’applicabilité de la loi sur laquelle les parties ont fondé leurs conclusions au cours d’une procédure de liquidation de régime matrimonial.

La Cour de cassation estime que « pour les droits dont elles ont la libre disposition, les parties peuvent, par un accord procédural qui peut résulter de conclusions concordantes sur ce point, choisir, pour régir une situation juridique déterminée, la loi française du for et évincer celle désignée par la règle de conflit applicable ». 

S’agissant des dommages et intérêts, la Cour de Cassation a également confirmé l’arrêt de la cour d’appel qui relève que l’ex-époux « a, par son fait, délibérément contribué à retarder les opérations de liquidation du régime matrimonial des époux pourtant arrêtées par jugement du 21 décembre 2012, dont il n’a pas interjeté appel, mais qu’il n’a pas hésité à remettre en cause en assignant le 27 novembre 2013 Mme Y… devant le juge aux affaires familiales. 

Ayant ainsi fait ressortir que M. K… avait agi dans une intention dilatoire en cherchant à remettre en cause un jugement irrévocable, la cour d’appel a pu retenir le caractère manifestement abusif de l’exercice par ce dernier de son droit d’agir en justice ».

Conditions de l’accord procédural

Objet de l’accord : droits disponibles

Les parties ne peuvent conclure un accord procédural que pour les droits dont elles ont la libre disposition. Un droit disponible est un droit auquel on peut librement renoncer. 

Le droit des régimes matrimoniaux est rattaché aux droits librement disponibles dans le cadre des opérations de liquidation.

Dans son arrêt en date du 6 mai 1997, la Cour de cassation indique que « pour les droits dont elles ont la libre disposition, les parties peuvent s’accorder sur l’application de la loi française du for malgré l’existence d’une convention international et d’une clause contractuelle désignant la loi compétente » (Cass. 1re civ., 6 mai 1997, n° 95-15.309). 

La Cour de cassation affirme donc sa volonté de maintenir l’accès l’accord procédural toutes les fois que les droits sont disponibles quelle que soit l’origine, conventionnelle ou interne de la règle du conflit. Il convient donc d’admettre l’accord procédural indépendamment de la règle du conflit.

Forme de l’accord : conclusions concordantes

Dès 1997, la Cour de cassation statue que « un tel accord peut résulter des conclusions des parties invoquant une loi autre que celle qui est désignée par un traité ou par un contrat » (Cass. 1re civ., 6 mai 1997, n° 95-15.309). 

Dans le droit fil de cette jurisprudence, la Cour de cassation indique que l’accord procédural peut résulter « de conclusions concordantes ». Autrement dit, le choix de loi peut être tacite lorsqu’il prend la forme d’un accord procédural. Ainsi, la seule concordance des conclusions des parties, se fondant respectivement sur la loi française suffit à caractériser l’accord procédural et vaut choix tacite de cette loi.

Certains auteurs critiquent cette position au motif qu’elle « pourrait aboutir à la découverte d’accords procéduraux là où il n’y a en réalité qu’ignorance des règles de droit international privé » (B. Fauvarque-Cosson, L’accord procédural à l’épreuve du temps, retour sur une notion française controversée in Le droit international privé : esprit et méthode, Mélanges en l’honneur de Paul Lagarde, note 31).

Pour ces auteurs, il est difficile de dire qu’un consentement éclairé des parties sur la portée de l’accord procédural puisse résulter d’une signification d’un jeu de conclusions. C’est pourtant le sens de l’arrêt de la Cour de cassation qui fait peser sur les avocats spécialisés en droit international privé de la famille la responsabilité de la rédaction de leurs conclusions et de leurs conséquences. Le cabinet Canopy avocats vous présente à ce propos ici son expertise particulière en ce domaine.

Portée de l’accord : désignation de la seule loi du for

La Cour de cassation prévoit dans l’arrêt analysé la possibilité pour les parties d’évincer la loi désignée par la règle de conflit (i) et de choisir « la loi française du for » (ii). La Cour de cassation autorise la mise à l’écart de la règle de conflit, permettant ainsi aux juges d’appliquer leur propre loi, qu’ils maîtrisent mieux. 

Mais les parties ont-elles la possibilité de choisir une autre loi que la loi française pour régir la détermination de la liquidation du régime matrimonial des ex-époux ?

Il résulte de la rédaction de l’arrêt que seul le choix de la loi française du for serait permis par la Cour de cassation. 

L’accord procédural n’est donc pas une véritable manifestation de volonté des parties mais constitue un moyen pour revenir à la loi du for.

Règle de conflit : loi applicable

La Cour de cassation ne précise pas quelle était la loi désignée par la règle de conflit que les époux ont évincée par l’accord procédural. 

En l’espèce, le couple s’est marié en 1970 soit avant l’entrée en vigueur en France de la convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux. Selon la jurisprudence, à défaut de choix de loi, la loi applicable au régime matrimonial est celle du premier domicile matrimonial stable et effectif des époux après le mariage (la convention est entrée en vigueur le 1er septembre 1992).  

Il ressort de l’arrêt que les époux sont mariés en France. Il est donc fort probable que leur première résidence après le mariage ait été fixée en France. Si tel est le cas, la mise en œuvre de la règle de conflit conduit inévitablement à désigner comme applicable la loi française. Le fait qu’ils soient tous deux de nationalité portugaise n’a pas d’impact sur les règles de la détermination de la loi applicable. 

En conséquence, l’application de la loi portugaise serait infondée du simple fait d’une mise en œuvre des règles du conflit des lois ce qui mettrait automatiquement à néant la manifestation de la volonté de l’ex-époux d’appliquer la loi portugaise à la liquidation du régime matrimonial.

Enfin, la Cour de cassation affirme que l’objectif de l’accord procédural est d’évincer la loi désignée par la règle de conflit applicable. Ainsi, il faudrait que la loi étrangère soit désignée pour pouvoir l’évincer. Cependant, il résulte des faits dans la présente affaire qu’il n’y a aucune certitude que la loi étrangère aurait été désignée par la règle du conflit des lois. Dans ce contexte, sommes nous réellement en présence d’un véritable accord procédural ?

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